De salons en présentations, la mode papote, modère, fédère et s’exprime. À l’heure de la conscientisation accélérée de ses consommateurs, les marques font entendre leur voix.
Une apparition de Sophie Fontanel
Festival de Hyères - Rushemy Botter
Si la conférence de presse semble aujourd’hui un peu désuète, les journalistes lui préférant des événements sur-mesure (rendez-vous privés, dîners, soirées, voyages), la conférence « tout court », elle, a le vent en poupe. Depuis 5 ans, les salons, marques, distributeurs ou festivals semblent se ruer sur les talks, tables rondes et « rencontres ».
Une tendance qui va de pair avec l’avènement des conférences 2.0, comme celles organisées par TED (près de 2,5 milliards de vues cumulées en 2018). Un véritable phénomène initié dès 1984 par The Sapling Foundation, organisation à but non lucratif américaine qui a rapidement développé l’appétit du grand public pour ce type de conférences novatrices, aux thèmes et intervenants rafraichissants.
TED, février 2018
TED
De nouveaux prismes socio-culturels
Mais si le succès des conférences TED ne se dément pas et inspire autant, c’est aussi parce que les nouvelles générations évoluent désormais dans un monde décloisonné. Un monde où les secteurs de la mode, de la beauté, du design, des sciences et des Arts communiquent librement. Des échanges organiques amplifiés par Internet et l’essor des réseaux sociaux, pris d’assaut par des millennials plus experts que jamais et habitués à « swiper » d’un sujet à l’autre. Résultat ? La « conférence » que l’on réservait aux universitaires et aux scientifiques inspire désormais la sphère mode, si prompte à s’approprier les nouveaux phénomènes.
Nelly Rodi masterclass avec Pierre Maheo
Festival Les Femmes s’en Mêlent, 2018
En 2018, la Galerie des Galeries (Lafayette) accueillait donc une série de rencontres autour des liens entre musique et mode (« La Mode, affirmation du genre dans la musique ? ») avec le patron de label Pedro Winter aux manettes, Nike n’hésitait pas à interviewer en boutique deux footballeuses pros pour attirer journalistes, influenceurs et consommateurs triés sur le volet en période de coupe du monde et le bureau de prospective NellyRodi inaugurait fin décembre ses Masterclass. Idem pour Comptoir des Cotonniers qui organisait au printemps 2018 son festival « Les Femmes s’en mêlent » avec une série d’animations donnant la parole à des entrepreneuses. Le magazine « Paulette », était quant à lui à l’origine d’une table ronde autour de la confiance en soi, diffusée sur Clique TV. Une preuve de plus que la mode fraye désormais avec des thématiques qui dépassent le simple cadre du vêtement.
Intellectualiser la mode
Auparavant réservée à une élite de stylistes, de rédactrices et d’éditeurs de presse, la mode devient un sujet démocratique, générationnel et intellectuel, au point d’être reconnue comme sujet d’étude à part entière. Ancrée dans l’époque, l’attrait pour la fashion n’est plus jugé « futile » mais utile, se positionnant comme un indicateur tangible des mouvements à l’œuvre dans nos sociétés. Décryptée, étudiée et analysée par le quidam sur Instagram et YouTube, ce dernier y apprend à affûter son regard et est désormais familier de thèmes aussi variés que le streetwear, l’athleisure ou l’appropriation culturelle. Une inversion des pouvoirs qui donne toutes les clés de compréhension aux millennials, qui ne se contentent plus de rêver mais veulent aussi comprendre et agir en perçant à jour les stratégies des grandes marques de mode.
Zalando
La solution pour ces dernières ?
Le salon du Bread & Butter
Engager la conversation et médiatiser les prises de paroles. À l’été 2018 se succédaient donc sous la « Tente Rencontre » du Festival d’Hyères des personnalités comme Sophie Fontanel (chroniqueuse), Tim Blanks (Business of Fashion), Kevin Ma (Hypebeast) ou encore Olivier Theyskens (designer). Au Bread & Butter 2018, festival de mode et de musique berlinoise orchestrée par Zalando, le créateur Christopher Raeburn, le chanteur, modèle et acteur Jaden Smith ou encore Jérôme Boateng (footballeur pro) conversaient eux aussi en direct entre deux concerts et défilés.
Un casting 5 étoiles qui rappelle les prises de parole lumineuses de la Condé Nast Luxury Conference, un format innovant du groupe de presse américain qui réunit depuis 2015 tous les plus grands acteurs du luxe. Sous l’œil vigilant de l’iconique Suzy Menkes, il sera question pour l’édition 2019, de lier mode et nature lors de l’événement qui se tiendra en Afrique du Sud. Sur la même lancée, à Paris, le Vogue Fashion Festival rassemble depuis 2016 les créateurs les plus puissants, comme Karl Lagerfeld ou Alber Elbaz, invités à partager leur vision du monde.
Vogue Fashion festival
Une nouvelle forme de collaboration
Anti Fashion Project
Avec leurs têtes d’affiches pointues, ces conférences sont aussi un nouveau moyen pour les marques et la mode de « fonder une famille » en se constituant un écosystème de personnalités qui gravitent autour d’elles. À l’instar des égéries que l’on « booke » pour une campagne ou des influenceurs que l’on paie pour mettre en avant un produit, les intervenants choisis pour ces talks deviennent eux aussi des ambassadeurs.
Lors de l’édition 2018 de l’Anti Fashion Project, à Marseille, les visages de la journaliste spécialisée en gender studies Alice Pfeiffer, de la prévisionniste de mode Lidewij Edelkoort, du maire de Roubaix Guillaume Delbar, de la créatrice Maroussia Rebecq ou de la coordinatrice du collectif français Éthique sur l’Étiquette Nayla Ajaltouni démontraient tous l’éclectisme et l’ouverture d’esprit du projet. Pour le concept-store L’Exception, cette nouvelle forme de curation est elle aussi essentielle.
Alice Pfeiffer, journaliste de mode
Début 2018, son fondateur Régis Pennel conviait donc Patricia Lerat (Fédération Française de Couture), Géraldine Florin (WSN Développement) et Fabien Verne (acheteur) à discuter en boutique des meilleures pratiques pour s’adresser aux consommateurs.
Quitte à être bien entouré… autant le montrer.
Régis Pennel, fondateur de l'Exception
Maroussia Rebecq, fondatrice d’Andrea Crews